Défis liés à l’autonomisation de la femme au Bénin et en Afrique

- Btech News
- 12 Mar, 2025
Le Bénin, à l’instar du monde,
a célébré le samedi 08 Mars 2025 la Journée internationale des droits de la
femme. En vue de trouver des réponses aux questions qui taraudaient nos esprits
sur la situation des femmes au Bénin et en Afrique, nous avons recueillis les
appréciations d’une femme béninoise qui a plusieurs casquettes. Elle est Coach
professionnelle certifiée en analyse comportementale et en intelligence
émotionnelle, consultante en marketing et personnal branding, entrepreneure,
créatrice de la liste du LinkedIn top choice Africa et on l’appelle Adjaratou
Lawani.
Lire ci-dessous l’interview qu’elle nous a accordée.
L’investisseur : Que vous
inspire le thème retenu pour la célébration de la Journée internationale des
droits de la femme en 2025 ? (Pour toutes les femmes et les filles : droits,
égalité et autonomisation)
Adjaratou Lawani : Le thème de cette année est très bien
choisi, surtout en ce qui concerne les droits. Parce que si la société toute
entière commence par respecter les droits de la femme à disposer d’elle-même, à
être instruite, à embrasser la carrière professionnelle qui l’intéresse, à se
donner les moyens d’avoir une vie qui lui convient, ce sera bien. C’est pour
cela que je suis contente qu’on ait mentionné les droits avant l’égalité et
l’autonomisation. Car tout part du respect des droits de chacun. C’est un
principe inaliénable.
On
continue la célébration de la Journée internationale des droits de la femme
parce les droits basiques de la femme ne sont pas respectés dans la majorité
des pays du monde. C’est dommage. Après il ne faudrait pas que d’année en année
on fasse des célébrations sans que les choses n’évoluent. A un moment donné, il
faut que les femmes comment à s’emparer de leurs prérogatives et s’habituer à
travailler pour se donner les moyens de réaliser leurs ambitions.
Quels sont les défis liés à l’autonomisation des femmes au Bénin et en Afrique ?
Les
femmes africaines subissent le régime patriarcal. C’est un système où le
pouvoir se transmet d’homme à homme. C’était comme cela avant notre naissance.
Au Bénin, c’est une société traditionnelle qui est vraiment très orientée sur
le pouvoir des hommes. Les femmes ont une place importante dans la société en
général, mais on veut toujours les cantonner dans des rôles bien précis. Des
rôles qu’on leur affecte. Pas des rôles qu’elles ont choisis. C’est ça le plus
gros défi. On veut formater toutes les femmes à fonctionner avec ce régime. Ce
qui peut être extrêmement contraignant et empêcher les talents des femmes de
s’exprimer. Ce qui constitue une entorse à leurs droits. Quand on dit que tant
que l’homme n’a pas encore fini de manger la femme ne peut pas s’asseoir à la
table, il y a quelque chose qui ne va pas. Car nous sommes tous des êtres
humains et personne n’a choisi d’être homme ou femme. Je ne comprends pas
pourquoi la société nous impose une double peine. Déjà la femme naît avec tout
ce que cela implique sur les plans physiologique, biologique, etc. Mais encore
sur les plans sociétal et culturel, on vient en rajouter aux charges de la
femme en lui disant toi tu es une femme et tu dois passer ta vie à obéir aux
restrictions de ta liberté.
Ce
sont autant de défis auxquels font face la femme mais il y en a qui réussissent,
à force de travail et de persévérance, à se libérer de ces jougs pour donner
vie à leurs rêves. Et souvent c’est après qu’elles aient réussi qu’on commence
à les accepter.
La femme autonome est-elle bien vue au Bénin ? Quels sont les clichés qu’une partie de la société béninoise et africaine collent aux femmes autonomes ?
Je
suis un peu mitigée sur la manière dont les hommes béninois apprécient les
femmes autonomes. Les hommes béninois ont toujours pu compter sur des femmes
qui sont capables. Quand on va par exemple au marché, ce sont les femmes qui
les animent mais dans les pays du Sahel ce sont les hommes qui le font. Donc
cela fait que ces femmes sont autonomes. Au Bénin, partout on voit des femmes
actives. Ce sont des femmes qui ont un pouvoir financier et contribuent à la
gestion financière de leurs familles. Mais je pense que souvent les hommes veulent
cette aide mais ne veulent pas que cela dépasse un certain niveau. Car cela
peut être considéré comme une tentative d’égaler le mari, le dépasser ou ravir
le pouvoir à l’homme. Je vous rappelle que nous sommes dans une société
patriarcale où la femme se contente de ce que l’homme lui donne. A
partir du moment où la femme est pleinement autonome, la société lui
dit qu’elle est hors format. Et en tant que telle elle ne pourra pas se marier
ou que l’homme va toujours rester le chef quelles que soient ses capacités et potentialités.
Alors qu’il n’est pas question de prendre la place de l’homme mais de laisser
la femme fleurir complètement, s’épanouir. A des moments donnés, on cherche
toujours à réfréner les ardeurs des femmes. On dit « tu es une femme, tu
n’as pas besoin d’aller beaucoup à l’école, ton mari va s’occuper de toi ».
Le fait de dire ces choses dans les oreilles des filles fait qu’elles reposent
leurs vies sur les capacités des hommes au lieu de développer leurs
potentialités. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Même si la femme
tombe sur un homme compréhensif et qui la prend totalement en charge.
Qu’adviendra-t-il si l’homme faisait faillite ou perdait son emploi ? Et
les situations où l’homme décède et la famille vient ramasser tous ses
biens ? Comment va-t-elle nourrir ses enfants ? Dans ces conditions,
peut-on empêcher la femme de développer ses capacités et se prendre en
charge ? Je crois que Dieu a fait en sorte que chacun puisse trouver ses moyens
de subsistance quel que soit son genre. Et je pense qu’on devrait, dans nos
sociétés, laisser les femmes libres d’avoir le droit basique de chercher à être
autonomes. Après quand la femme rentre dans une collaboration, un partenariat avec
quelqu’un du sexe opposé, elle sait qu’il vient l’aider et les deux s’entraident.
C’est à cela qu’il faut penser au lieu de colporter les rumeurs parce qu’une
femme autonome n’as pas de mari ou d’enfant. La vie d’une femme ne se limite
pas à avoir un mari et des enfants. La réflexion doit être menée autrement.
Certains hommes soutiennent que la femme autonome est plus difficile à vivre dans un couple que celle qui ne l’est pas. Qu’en pensez-vous ?
J’ai
envie de dire que c’est normal, c’est mathématique. Quelqu’un à qui on a enlevé
ses droits les plus fondamentaux ; quelqu’un à qui on a dit « tu es
une fille et on préfère envoyer ton frère à l’école » et on le retire de
l’école pour aider maman à la maison. On parle de la béninoise lambda qui est
dans nos provinces. Déjà on l’empêche d’utiliser son intelligence pour être une
ressource pour sa famille et sa communauté. Et on l’a formaté pour qu’elle vive
avec un homme qui viendra payer sa dot et elle lui devra obéissance à vie.
Celle-là, quelle difficulté peut-elle faire à un homme ? Elle ne peut même
pas broncher devant cet homme. C’est fou les situations de pénibilité dans
laquelle la société met les femmes. On ne rend pas la vie facile aux femmes. Ils
veulent rendre la vie difficile aux femmes pour qu’elles soient dans une situation
de détresse, de besoin, d’assistance permanente et quand tu es dans une
situation d’assistance permanente c’est comme les Etats africains par rapport
aux occidentaux. On est toujours en train de tendre la main. C’est la personne
qui te nourrit qui a le pouvoir. On est en train de mettre les femmes dans des
situations où elles n’ont pas la capacité de se prendre en charge.
Et
on vient nous dire qu’une femme qui n’est pas autonome est moins difficile.
Mais c’est normal. A partir du moment où un être humain connaît ses droits, a
les outils pour se débrouiller dans la vie, les situations ne sont plus les
mêmes. Quelqu’un à qui on a appris à pêcher ne va pas attendre quelqu’un avant
de le faire quand il a faim. Et là la nourriture qui fait partie de nos besoins
fondamentaux ne peut plus être un motif de pression sur cette personne.
Si la femme a appris à se débrouiller et contribuer à la gestion financière de la famille, aider sa communauté, sa société, elle va être proactive, motivée, déterminée. Et c’est ça qui va déranger un homme ? Il va dire qu’elle est compliquée, difficile, comme elle gagne un peu d’argent, qu’elle pense qu’elle n’a plus besoin de personne ; etc. Je pense qu’on devrait aider les hommes à réfléchir différemment. Heureusement qu’ils ne sont pas tous pareils. Et à leur faire comprendre qu’une femme qui sait se débrouiller constitue un avantage pour son mari. Parce qu’il y a beaucoup d’hommes pour qui c’est pesant d’avoir toutes les charges du foyer sur leurs épaules. Tout le monde a besoin d’un plus petit que soit ou d’une aide. Et si on se base sur les livres saints, la femme a été créée pour être l’aide de l’homme. Elle n’a été créée pour être une charge. Chaque médaille a son revers. Si on veut que la femme soit tellement dépendante de l’homme qu’elle ne puisse rien faire, la société ne va pas évoluer. Parce qu’on sera dans un rapport d’assistanat et ce n’est pas avec des personnes qu’on assiste du début jusqu’à la fin qu’on développe un pays. Il en va même de l’avenir du pays. Il faut que les hommes et les femmes, la jeunesse de ce pays, soient éduqués et déconstruits sur les rôles des uns et des autres dans notre société et sur les droits dont chacun doit jouir.
En tant que femme autonome,
quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face sur le plan
professionnel ?
Ces
dernières années, j’ai la grâce de n’avoir pas identifié des difficultés
particulières. Cependant, à cause de mon genre féminin, que je n’ai pas choisi,
il a pu arriver que tout de suite quand je rentre en contact avec quelqu’un du
sexe opposé dans un cadre professionnel, il y en qui veulent profiter de la
situation pour inviter à déjeuner ou dîner avec des arguments professionnels.
C’est à moi de gérer ces situations en préférant le travail en ligne ou en
choisissant les endroits qui me conviennent pour les rencontres
professionnelles.
Donc je peux dire que je ne rencontre pas beaucoup de difficultés puisque je les anticipe. Il y a aussi le fait que je travaille beaucoup en ligne qui me permet d’éviter de me mettre dans certaines situations. De même, la majeure partie de ma clientèle est composée de femmes. Donc je suis dans un environnement un peu plus sécurisant qu’une femme qui va travailler dans un bureau entourée d’hommes.
Qu’est-ce que le coaching peut
apporter à l’autonomisation des femmes au Bénin et en Afrique ?
Je travaille dans le domaine du développement personnel. Et sur cette base, je pense que le coaching a beaucoup à apporter aux femmes dans le cadre de leur autonomisation. Quand on dit autonomisation, c’est cette capacité à s’occuper totalement de soi-même. Et je rappelle que nous sommes dans une société patriarcale où les femmes traditionnellement sont reléguées au second plan et privées de leurs droits élémentaires. Cela peut entrainer certaines insuffisances du point de vue de la personnalité et du comportement des femmes. On aura une société où les femmes n'auront pas confiance en elles-mêmes, où elles auront du mal à prendre la parole en public, où elles seront toujours dans le syndrome de l’imposteur, etc. Tout cela crée des blessures et ce sont des insuffisances que le coaching aide à régler. Dans le coaching, nous avons des protocoles qui aident les femmes à retrouver la confiance en elles, à déterminer leurs capacités et potentialités, à se départir du regard de la société qui peut ne pas être d’accord avec leur évolution, leur épanouissement parce que cela va à l’encontre du patriarcat. On apprend aux femmes à se valoriser et à devenir des personnes brillantes parce qu’en brillant, elles vont inspirer les autres jeunes femmes qui vont les identifier. Il y a vraiment un renforcement de capacités et le coaching est aussi un outil de déblocage, d’épanouissement des femmes pour qu’elles puissent comprendre qu’elles sont des individus à part entière qui ont le droit d’accomplir des choses, de prendre soin d’elles-mêmes, de satisfaire leurs besoins fondamentaux.
Quelle est la contribution de
la femme autonome au développement d’un pays ?
Comme je l’ai dit, si dans une société patriarcale les femmes ne sont pas formées et n’ont pas l’exercice complet de leurs droits, elles deviennent des êtres qui doivent être assistés pour tout et n’importe quoi. Et cela va créer une espèce de déficit de talents dans notre société. Parce que notre société est composée à 50% de femmes et si la moitié des hommes de notre société ne passent leurs temps qu’à s’occuper des femmes, notre économie sera au ralenti. Elle ne pourra fonctionner à son plein potentiel. Vous êtes deux dans un bateau. Mais on dit que c’est l’homme seul qui doit ramer alors que la femme aussi peut le faire. Le bateau avancera moins rapidement que si la femme ramait aussi. Plus nous avons des femmes autonomes qui apportent des ressources dans leurs familles, leurs communautés et leurs pays, plus nous nous développons. Si elles ont plus de connaissances, si elles savent comment passer d’une entreprise informelle à formelle, comment passer d’une micro à une petite entreprise ainsi de suite, être plus éduquées pour aider leurs enfants dans les devoirs scolaires, etc, voyez-vous toutes les retombées positives que l’économie d’un pays peut avoir parce qu’il y a beaucoup de femmes autonomes dans ce pays ? C’est une réflexion que nous devons avoir. Et c’est ce que nous devons expliquer à la société traditionnelle. En laissant les femmes profiter de leurs droits basiques, on contribue à l’amélioration de la société sur tous les plans et on fait de la femme un renfort et non un handicap.
Quels conseils et astuces
avez-vous à partager avec les femmes et filles du Bénin et d’Afrique pour les
aider à être autonomes ?
Avant
toutes choses, quand on arrive sur un champ et qu’on veut semer de nouvelles
graines, on prend le temps de désherber, de retourner la terre, de la nettoyer
avant de mettre les bonnes graines. Donc les conseils et astuces seront basés
sur cet enseignement traditionnel. Il faut que chaque femme puisse faire le
travail en elle-même et enlève tous les logiciels qu’on lui a mis dans la tête
en lui disant que c’est l’homme qui va tout faire pour elle, si elle n’a pas
d’homme dans sa vie, si elle n’est pas en couple avec quelqu’un, si elle n’est
pas mariée, elle n’a pas de valeur dans la société, c’est faux. Donc il
faut que les femmes et les jeunes filles aillent sur le terrain de la
déconstruction de toutes ces idées qui ont été créées pour nous restreindre,
nous limiter, nous empêcher d’accomplir notre destin tout simplement.
Après cela, elles vont installer un logiciel de confiance, de développement de
compétences, d’affirmation d’elles-mêmes et de comment elles peuvent être
utiles dans tous les domaines qui les intéressent. Il n’y a pas de métier
d’homme ni de métier de femmes. Elles vont se donner les moyens de semer les
graines de tous les grands rêves qu’elles ont, pour qu’elles puissent germer et
donner de bons fruits. Je n’ai pas voulu donner d’astuces mais ce sont plutôt
des trames, des orientations, des exhortations et n’importe quelle femme qui
est prête doit se demander « quelles sont ces pensées limitantes que j’ai
héritées de la manière dont on m’a éduqué dans la société que je dois
déconstruire ? ». Une fois que c’est déconstruit, maintenant j’injecte
une nouvelle manière de penser, de fonctionner dans mon disque dur et cela va
me permettre d’accomplir des choses extraordinaires.
Avez-vous une préoccupation personnelle à aborder ?
J’aimerais
sensibiliser sur un sujet qui me tient à cœur. Sur la situation des femmes et
des violences basées sur le genre. Dans mon monde idéal, les violences basées sur
le genre n’existent plus. Je reste persuadée au fond de moi-même que la vie des
femmes, dans un monde géré par un régime patriarcal, est déjà assez compliquée
pour qu’on vienne encore les maltraiter. Je pars du principe qu’une société qui
est évoluée est une société qui aura aidé les femmes à faire disparaitre tout
ce qui est violence basée sur le genre. Nous devons créer une espèce de feuille
de route qui va nous permettre de faire disparaitre dans notre société tout ce
qui est lié de près ou de loin aux violences basées sur le genre.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA
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